«Faire la mort»: troublante histoire de deuil non reconnu

La scène de l’Espace Go est recouverte de terre pour la présentation de Faire la mort, une pièce où l’on se penche avec humour sur ce moment où chacun de nous passera de vie à trépas. En entrant dans la salle, les spectateurs reçoivent une petite fleur, comme on en distribue parfois aux endeuillés, lors de cérémonies funéraires. Puis, une question, en apparence simple, surgit! Une mère demande à sa fille si elle veut être prévenue quand son père va mourir. Ce sujet sensible nous entraîne dans un étrange rituel…

À l’avant-plan: Isabelle Vincent et Laetitia Isambert-Denis / Crédit photo: Yanick Macdonald

Avec aplomb et cynisme, Isabelle Vincent endosse le rôle d’une femme qui a élevé seule son enfant, incarnée par Laetitia Isambert-Denis. Cette dernière est obsédée par ce papa dont elle entend parler depuis sa naissance et qu’elle n’a encore jamais rencontré. Comment vivre une telle absence? Peut-on faire le deuil d’un être qui est encore vivant?

L’autrice, Krystel Descary, a voulu exprimer son propre parcours dans ce spectacle qu’elle qualifie d’«autofiction documentée». Elle met ainsi en lumière, notamment, les deuils non reconnus par la société et les situations de perte qui ne sont pas validées par notre entourage. Avons-nous tendance à minimiser nos épreuves, lorsqu’elles n’émeuvent pas les nôtres? En arrive-t-on, alors, à avoir honte de nos chagrins? Honte de nos deuils?

Regarder la mort en face

Krystel Descary est elle-même sur scène, dans le rôle d’une thanadoula, c’est-à-dire une femme qui accompagne les personnes en fin de vie. Ce personnage questionne directement les spectateurs, avec espièglerie. Avez-vous reçu un diagnostic de cancer? En avez-vous informé vos proches, demande-t-elle, en soulignant qu’on a tendance à cacher nos maladies, car on les voit comme des échecs.

L’agonie est pourtant un passage important qui mérite d’être souligné et même honoré, estime cette accompagnante. Que souhaitez-vous qu’on retienne de vous? Préparez-vous à laisser une empreinte représentative de votre vie à ceux qui vous survivront, ajoute la sage-femme de la mort.

Son discours frôle toutefois le morbide, entre autres, lorsqu’elle décrit l’avant-dernier souffle d’un mourant, puis son dernier souffle, ainsi que les fluides qui peuvent s’échapper des corps après le décès. Mais, regarder la mort en face est la pierre angulaire du deuil, plaide-t-elle.

D’ailleurs, sommes-nous déjà au cimetière, dans ce décor où le téléphone est partiellement enfoui sous terre? Chose certaine, la thématique mortuaire est omniprésente dans la scénographie de Geneviève Lizotte, dominée par un grand rideau qui rappelle certains salons funéraires. Paradoxalement, cet univers demeure très vivant, grâce à la mise en scène de Marie-Ève Milot.

Avec son côté comique naturel, Joanie Martel apporte une dose salutaire d’humour dans cette histoire moins sombre qu’on pourrait le croire.

Dans l’ensemble, la pièce est enveloppée de douceur et de mystère, avec la musique live de Mykalle Bielinski et les éclairages d’Étienne Boucher.

Cette ambiance bienveillante est cependant brisée quand la protagoniste (Isambert-Denis), règle ses comptes acrimonieusement avec son géniteur. Pier Marquette ne parvient d’ailleurs pas vraiment à tirer son épingle du jeu dans ce rôle ingrat du père qui est, une fois de plus, condamné d’avance.

Bref, malgré certains raccourcis et une dimension ésotérique plus ou moins assumée, ce spectacle longuet d’une heure 35 minutes ne vous laissera pas indifférent. Ce n’est pas tous les soirs qu’on prend le temps d’explorer des modes de pensée alternatifs pour aborder notre finalité ou celle de nos proches. Vous n’en sortirez pas indemne!

Faire la mort

Texte: Krystel Descary / Mise en scène : Marie-Ève Milot

Avec: Laetitia Isambert-Denis, Isabelle Vincent, Krystel Descary, Joanie Martel et Pier Paquette

À l’Espace Go, jusqu’au 8 décembre.

https://espacego.com/

Crédit photo: Yanick Macdonald

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