«ll est désormais impératif d’agir avec bienveillance. Coûte que coûte.» Ce crédo de notre époque, obsédée par le politiquement correct, est au cœur de la pièce Faire le bien. Il s’agit d’un ensemble de saynètes, souvent comiques, de François Archambault et Gabrielle Chapdelaine. «Premier baiser», «Parole impeccable», «Faire le bien», «Faire encore mieux» sont parmi les thèmes de ce spectacle satirique, où Ève Landry donne la réplique à huit jeunes comédien.ne.s, finissant.e.s de 2023, de diverses écoles. Bref, une pièce prometteuse mais, tient-elle ses promesses ?
L’être humain est-il fondamentalement bon ou mauvais ? Cette question surgit à travers diverses scènes absurdes et hilarantes ! D’ailleurs, parmi les meilleurs moments de la soirée, il y a ce numéro où l’impeccable Ève Landry joue une bourgeoise BCBG qui fait la charité à un itinérant (excellent Mehdi Boumalki) et qui n’hésite pas à se prendre en photo avec lui pour pouvoir exhiber sa grandeur d’âme sur les réseaux sociaux. Il faut voir ce duo à l’oeuvre !
Le public de la première a beaucoup ri, également, durant le sketch de la «parole impeccable», où un animateur enseigne aux participants comment éviter tout jugement, même lorsqu’on parle de météo !
Il faut dire que la distribution est excellente et que plusieurs de ces jeunes comédiens ont déjà du bagage. Entre autres, Christophe Levac a joué au petit écran dans la série L’Échappée, alors que Léa Roy a incarné Rosie dans la série
L’empereur. On a pu voir Elizabeth Magerena dans La déesse des mouches à feu, au Quat’Sous et Xavier Bergeron était de la distribution de la pièce Royal chez Duceppe.
Simon Champagne, Charlotte Richer, Anaelle Boily Talbot et Mehdi Boumalki sont aussi de cette solide équipe qui évolue dans une mise en scène toute simple et efficace de Claude Poissant.
Cela dit, les textes demeurent souvent consensuels. Les auteurs prennent bien soin de ne pas soulever de questions épineuses, notamment, par rapport aux comportements féminins.
Dès le premier sketch, axé sur le consentement, on met l’emphase sur les nombreuses exigences d’une fille qui soumet un garçon à un long interrogatoire, avant de décider si elle lui permettra de l’embrasser. Mais, que ressent le jeune homme devant cette dulcinée qui va jusqu’à lui demander s’il secrète beaucoup de salive ? On n’en saura rien ! En général, Chapdelaine et Archambault ne se sont pas intéressés au point de vue masculin, dans les relations de couple.
Par ailleurs, il aurait été intéressant de créer un parallèle entre ce numéro et une autre scène où l’on découvre deux jeunes femmes qui se délectent encore de leur premier baiser amoureux, sans qu’il soit question de conditions. Pourquoi le simple fait de s’embrasser devient-il automatiquement assorti d’exigences féminines en présence d’un partenaire masculin ? Pas un mot là-dessus non plus.
Dans un autre sketch, une jeune femme s’indigne d’apprendre que son copain a embrassé d’autres filles et même un garçon. Comme si son partenaire était sa propriété, l’amoureuse nous est présentée comme une victime d’infidélité. Pourtant, cette pièce donne la parole à des jeunes d’aujourd’hui; on aurait donc pu ajouter, ici, quelques réflexions sur le polyamour qui semble connaître un nombre croissant d’adeptes.
En fait, très souvent les auteurs nous ramènent des sujets plus ou moins figés dans le passé. C’est le cas, également, lors du numéro où un acteur veut convaincre ses collègues masculins d’accepter une diminution de salaire pour qu’une de leurs consœurs soit payée au même prix qu’eux. On se lance alors dans un exercice où l’on tente de déterminer la valeur de la prestation de la comédienne en question qui joue un rôle de secrétaire bipolaire. Laborieux !
Cela dit, puisqu’on aborde la question des inégalités dans le domaine culturel, on aurait pu en profiter pour jeter un coup d’oeil au sort des hommes blancs, devant les logiciels d’écriture de scénarios qui sont pour la plupart dotés d’outils d’inclusivité ? Cette discrimination dite positive gagne les plateaux de tournage, un peu partout sur la planète, depuis plusieurs années déjà.
En France, Le Collectif 50/50 a créé un annuaire où l’on ne retrouve aucun homme blanc sur les quelque 980 professionnels du cinéma répertoriés. Cette statistique est mentionnée dans le livre Woke Fiction* de Samuel Fitoussi qui cite également la présidente de Disney Television, Dana Walden. Cette dernière confirmait, en 2021 : «Nous recevons parfois des scénarios magnifiquement écrits qui ne remplissent pas nos conditions d’inclusivité, alors nous les refusons !»
Voilà des sujets actuels qui auraient pu enrichir la pièce. Malgré son manque d’audace, Faire le bien braque les projecteurs sur nos paradoxes, avec humour, et nous permet de découvrir de remarquables jeunes comédiens.
Faire le bien
Texte de François Archambault et Gabrielle Chapdelaine
Mise en scène: Claude Poissant
Au Théâtre du Rideau Vert, jusqu’au 14 septembre
*Woke fiction, Le Cherche midi, Paris, 2023
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