«Kukum»: peut-on tout adapter au théâtre ?

Le Théâtre du Nouveau Monde était une fois de plus rempli, mardi soir, pour la pièce Kukum, jouée la plupart du temps à guichets fermés, depuis son lancement, il y a une semaine. L’adaptation théâtrale de ce roman de Michel Jean, qui a notamment reçu le Prix littéraire France-Québec 2020, se traduit par plusieurs scènes visuellement splendides! Mais, l’histoire de l’arrière grand-mère de l’auteur, une blanche qui change de mode de vie lorsqu’elle tombe en amour avec un autochtone, parvient-elle à s’imposer sous les feux de la rampe?

Léane Labrèche-Dor et Étienne Thibeault / Crédit: Yves Renaud

Nous sommes au début du vingtième siècle, sur les bords du majestueux Pekuakami, aujourd’hui rebaptisé, Lac Saint‑Jean. Une orpheline canadienne-française de quinze ans, Almanda, interprétée par Léane Labrèche-Dor, s’éprend d’un Innu de 18 ans, Thomas Siméon, joué par Étienne Thibeault. Même si le texte évoque un coup de foudre, il est bien difficile de percevoir une passion dévorante dans leur jeu. La plupart du temps, on croirait plutôt être devant deux jeunes amis qui se taquinent.

Pourtant, la jeune fille n’hésitera pas à braver plusieurs interdits et quitter la vie de colons de son oncle et de sa tante, pour aller joindre sa belle-famille, dont elle adopte la langue et les migrations annuelles. D’ailleurs, la plupart des comédiens de cette distribution ont du sang autochtone. Jean-Luc Kanapé et Sharon Fontaine-Ishpatao, entre autres, tirent bien leur épingle du jeu, dans leurs rôles respectifs de Malek et de Christine.

Plusieurs dialogues sont en innu-aimun, avec des surtitres en français qui apparaissent sur des écrans placés à gauche et à droite de la scène. On se réjouit de découvrir la sonorité de cette langue mais, on s’explique mal que l’ajustement des micros ne soit pas encore au point, après six représentations! Plusieurs répliques en français étaient pratiquement inaudibles en ce 19 novembre.

Des images percutantes

Racontée du point de vue d’Almanda, l’histoire se déroule sur plusieurs décennies, où l’héroïne assiste à la transformation des paysages, au rythme de l’industrialisation qui s’accélère.

Les beaux décors de Simon Guilbault et la conception vidéo époustouflante de Caroline Monnet sont de précieux atouts dans ce spectacle souvent statique. On reste bouche bée devant les images d’archive témoignant de la drave sur la rivière Péribonka qui bloque le passage aux canots. On retient son souffle face aux scènes de chasse au caribou! Le tout est accompagné de chants et de musique, dont certaines pièces sont plutôt fades.

Les éclairages de Martin Sirois insufflent une part de mystère à cet univers d’une grande douceur, dans l’ensemble, même si on y dénonce la sédentarisation forcée des Autochtones. 

Léane Labrèche-Dor, Jean-Luc Kanapé et Sharon Fontaine-Ishpatao/ Crédit: Yves Renaud

Cela dit, l’adaptation scénique de Laure Morali, en collaboration avec la poétesse Joséphine Bacon, nous laisse sur notre faim. À vrai dire, l’histoire de Kukum (un mot qui signifie grand-mère en langue innue-aimun) nous est racontée, plutôt que jouée.

Oui, il y a quelques moments où le récit se transforme en action, comme lors de la pétillante rencontre entre Almanda et le premier ministre Maurice Duplessis. Par contre, dans l’ensemble, les souvenirs évoqués ne se traduisent pas en théâtralité. La mise en scène d’Émilie Monnet nous donne parfois l’impression d’assister à une soirée de lecture du roman Kukum.

D’ailleurs, ce spectacle qui était tant attendu soulève une question fondamentale: peut-on tout adapter au théâtre? On a eu plusieurs fois l’occasion de s’interroger à ce sujet, ces derniers temps, notamment, lors de l’adaptation du roman La femme qui fuit, au TNM, cet automne. On comprend la volonté de donner une nouvelle vie à des oeuvres déjà connues du public mais, encore faut-il réussir à transposer l’action sur scène.

Kukum

Texte de Michel Jean / Adaptation théâtrale de Laure Morali, avec la collaboration de Joséphine Bacon / Mise en scène: Émilie Monnet

Au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu’au 15 décembre

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