«Méthadone Bertrand»: troublant suspense à La Licorne

Marc-Yvan Coulombe / BabillArt Montréal

Mme Bertrand, une femme de 74 ans, est en colère contre son livreur de médicaments, Félix, qui vient d’arriver chez elle avec plus d’une demi-heure de retard. Le jeune homme de 26 ans plaide qu’il n’y est pour rien car son employeur lui en demande toujours davantage. Ses explications sont toutefois loin de satisfaire la cliente qui, en plus, constate qu’il manque l’un des remèdes indispensables qu’elle a commandé.

C’est alors que chacun poussera l’autre, en quelque sorte, dans ses derniers retranchements! Marie-Ginette Guay et Samuel Bouchard sont criants de vérité dans cette pièce inspirée d’un fait vécu et présentée dans le cadre des 5 à 7 de La Licorne.

Tragique et pourtant comique…

Le suspense s’installe dès les premiers instants de Méthadone Bertrand et ne cesse de s’intensifier durant une soixantaine de minutes où se jouent des moments dramatiques, ponctués de répliques irrésistiblement drôles. Ce savant dosage est l’œuvre de Vincent Paquette qui signe aussi la mise en scène du spectacle. Diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2020, l’artiste s’est notamment distingué dans le rôle principal de la pièce Royal de Jean-Philippe Baril Guérard, présentée chez Duceppe, en 2024.

Dorer la pilule

Dans un décor minimaliste de Laurie Foster, Vincent Paquette a conçu une mise en scène simple et réaliste qui sert bien son propos axé sur le poids de la solitude chez les aînés mais aussi chez les jeunes.

Même si elle ne semble pas avoir le coeur à la fête, Mme Bertrand insiste pour que Félix souffle un ballon pour elle car, c’est le jour de son anniversaire et elle attend son fils pour célébrer, en soirée, dit-elle. Alors, comment s’appelle-t-il? A-t-il un travail?, demande le livreur de médicaments qui finira par découvrir pourquoi son interlocutrice est si réticente à parler de sa supposée progéniture.

De son côté, l’aînée ne tarde pas à démasquer son livreur qui dérobe des médicaments à ses clients pour les revendre et augmenter ainsi ses revenus, lui qui dit subvenir aux besoins de son père malade. La dame s’engage à ne pas dénoncer Félix mais, elle lui demande en retour de poser un geste dont les conséquences seraient vraisemblablement irréversibles.

C’est alors que la méthadone risque de rompre le fragile équilibre des protagonistes. Cet opioïde servant à soulager les douleurs intenses ou chroniques deviendra-t-il une monnaie d’échange entre le livreur un peu voleur et la septuagénaire rusée qui préfère mourir plutôt que d’aller vivre dans une maison de retraités?

Avec doigté et concision, l’auteur nous touche droit au coeur avec les révélations troublantes de ces deux êtres prisonniers de leurs destins. Leur histoire est d’autant plus bouleversante qu’elle pourrait se dérouler tout près de nous, l’espoir étant souvent fugace, que l’on soit au début ou à la fin de sa vie.

Cet univers sombre n’est pourtant pas exempt de poésie. La septuagénaire est une grande admiratrice de Robert Charlebois et ses derniers mots, elle les récite au son de la chanson C’est pour ça, qui prend les allures d’une sublime prière de fin de vie:

«Quand je regarde loin au fond de moi
Je ne comprends plus rien au monde moi
C’est pour ça que je chante tout bas
Ce que je ne peux pas mieux dire»

Méthadone Bertrand est une réussite sur toute la ligne, qu’il s’agisse de l’interprétation d’une grande justesse des deux comédiens, ou du texte qui nous tient en haleine du début à la fin, grâce au talent de Vincent Paquette, un auteur dont on n’a pas fini d’entendre parler!

Méthadone Bertrand

Texte et mise en scène Vincent Paquette

Avec Samuel Bouchard et Marie-Ginette Guay

À la Salle de répétition du théâtre La Licorne, du 21 octobre au 14 novembre

*Crédit: David Wong

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *