L’Orchestre symphonique de Montréal a lancé sa 91e saison, ce soir (11 septembre), avec les Gurre-Lieder, une oeuvre monumentale pour voix et orchestre du compositeur autrichien Arnold Schoenberg. Plus de 200 musiciens et chanteurs, dirigés par Rafael Payare, interprètent cette partition dont le style d’écriture est parfois comparé à celui de Tristan et Iseult de Richard Wagner. Plusieurs solistes de réputation internationale sont aussi de ce concert qui sera présenté à nouveau, le 13 septembre, soit, 150 ans jour pour jour après la naissance de Schoenberg.
Une histoire d’amour et de vengeance
D’entrée de jeu, le narrateur Mani Soleymanlou vient situer et contextualiser avec une certaine théâtralité cette terrifiante histoire du poète danois Jens Peter Jacobsen.
Essentiellement, il s’agit de la légende de Waldemar et de sa maîtresse, Tove, dans le château de Gurre. Ils chantent tour à tour leur amour. Expressive, la soprano Dorothea Röschmann s’avère néanmoins une amante plutôt distante de son amoureux incarné par le ténor Clay Hilley. Tous les deux décrivent leurs sentiments à travers des textes magnifiquement poétiques mais, chacun reste plus ou moins absent par rapport à l’autre, comme s’ils n’étaient jamais vraiment ensemble.
Ces épisodes chantés alternent avec de somptueux interludes où maestro Payare fait preuve d’une constante intensité, en guidant fougueusement son orchestre dans la complexité de l’univers sonore de Schoenberg.
Grâce à sa remarquable présence sur scène, l’alto Karen Cargill nous donne froid dans le dos avec le chant de la Colombe des bois qui raconte la mort de Tove.
Puis, Clay Hilley nous bouleverse, en exprimant sa fureur à Dieu lui-même qu’il accuse de lui avoir enlevé sa bien-aimée. Le ténor aux chaussures rouge vif chante à la fois sa colère et le désespoir humain, alors que sa douleur se heurte à l’indifférence.
C’est après l’entracte que l’imposant chœur est mis à contribution pour la dernière partie de l’oeuvre qui nous entraîne dans un tout autre univers sonore. Il faut dire que Schoenberg n’a terminé ses Gurre-Lieder qu’une dizaine d’années après en avoir écrit une grande partie, à compter de 1900.
Alors que dans les deux premières parties de l’oeuvre, l’écriture est considérée comme post-wagnérienne, Schoenberg se tourne ensuite vers ce qu’on pourrait appeler une cantate dramatique. Des orchestrations audacieuses laissent entrevoir l’avant-gardisme de celui qui inventera le dodécaphonisme, une technique de composition musicale.
De nouveaux personnages font leur apparition sur scène dont le paysan qui raconte des scènes impliquant le roi et ses soldats fantomatiques. Le baryton Thomas E. Bauer est impeccable dans ce rôle.
Pour sa part, le ténor Stephan Rügamer fait lui aussi bonne figure en Klauss, le fou, forcé de rejoindre une armée de soldats morts ! Puis, Ben Heppner, désormais retraité du chant, s’amène sur scène, en s’avançant prudemment, appuyé sur sa canne. Le vibrant récitant utilise la technique du Sprechstimme, c’est-à-dire que dans sa déclamation, il doit suivre la ligne mélodique et les rythmes notés dans la partition.
Après nous avoir plongé dans un monde sombre et tourmenté, Schoenberg nous amène là où l’espoir renaît. La malédiction est abolie et le soleil se lève, ce qui se reflète dans les magnifiques éclairages d’Anne-Catherine Simard Deraspe.
Enfin, ce concert de plus de deux heures incluant un entracte a été suivi avec une grande attention, du début à la fin, alors que la Maison symphonique était presque remplie. Chose certaine, ces effectifs orchestraux et vocaux d’envergure, ainsi que la direction minutieuse de Rafael Payare suscitent l’admiration. Une autre représentation est à l’affiche, vendredi, le 13 septembre, à 19h 30, à la Maison symphonique, avec diffusion en direct sur Mezzo.
*Crédit photo : Antoine Saito
Payare dirige les Gurre-Lieder de Schoenberg
Orchestre symphonique de Montréal / Rafael Payare, chef
Clay Hilley, ténor (Waldemar) / Dorothea Röschmann, soprano (Tove) / Karen Cargill, alto (Colombe) / Thomas E. Bauer, baryton (paysan) / Stephan Rügamer, ténor (Klaus, le fou) / Ben Heppner, récitant / Mani Soleymanlou, narrateur
Chœur de l’OSM / Andrew Megill, chef de chœur
Laisser un commentaire