Audacieux, Émile Proulx-Cloutier a su relever plusieurs défis, ce soir, à la Maison symphonique. L’artiste a interprété, pour la première fois en public, de nombreuses chansons de son nouvel album, Ma main au feu, accompagné par une cinquantaine de musiciens et chanteurs sous la direction de Nicolas Ellis. Dans un esprit de franche camaraderie, l’auteur-compositeur-interprète a même troqué son piano pour le podium du chef d’orchestre, le temps d’un morceau.
Ce n’est pas tous les soirs qu’on entend de la chanson à texte, accompagnée d’arrangements spectaculaires, signés par Francois Vallières et Guido Del Fabbro. Dès la première pièce du concert, Besoin de bras, on est ébloui par la puissante orchestration. «Laissez-moi pas tranquille J’ai le soleil fragile Et l’eau qui monte jusque-là Je vais avoir besoin de bras.» Ce cri d’alarme se traduit par une sorte d’explosion orchestrale, au-dessus de laquelle planent les voix du Choeur du Plateau. Saisissant!
Le ton est donné. Entre fragilité et sentiment d’urgence, le quadragénaire aura tôt fait de nous entraîner devant La belle bombe. Sur un tourbillon de percussions, ponctué d’attaques explosives du Burning BRAS’s Band, il est question de commentateurs qui «te découragent à petites doses Quand la roue de la routine tout doucement te bulldoze».
On aura compris qu’en général, les sujets abordés sont graves mais, cet acteur de formation sait dérider la foule. Il raconte, entre autres, que l’insonorisation de la Maison symphonique a été conçue, non pas pour éviter qu’on y entende les bruits de la ville, mais plutôt par souci de ne pas déranger le voisinage! Pince-sans-rire, Proulx-Cloutier fait, bien sûr, allusion au voisin du cabaret La Tulipe qui, en se plaignant du bruit, a entraîné la fermeture de cette salle de spectacle, en septembre dernier.
Puis, on se croirait dans le métro de Montréal, lorsque la voix enregistrée de Michèle Deslauriers nous annonce : «Attention! Un incident nous oblige à interrompre le service sur la ligne d’horizon.» L’orchestre flamboyant éclipsera malheureusement de nombreux mots de ce texte touffu, où le chanteur exprime son désenchantement au sujet de l’Amérique qui meurt. Horizon n’en demeure pas moins une marche énergique et dénonciatrice qui n’est pas sans rappeler l’esprit du groupe Octobre de Pierre Flynn.
Dans son voyage symphonique, le chanteur puise aussi dans ses albums précédents dont Marée haute (2017). Dans un élan didactique, l’artiste explique aux jeunes qui assistent à son spectacle, le sens de la chanson Maman. Il s’agit, en fait, d’une réécriture de Mommy qu’interprétait Pauline Julien, en évoquant la disparition du français au Québec. Émile, lui, prête sa voix à un enfant autochtone qui demande: «Ô maman qui m’a enlevé ma langue?»
Après l’entracte, on remonte plus loin encore dans le temps avec un titre d’Aimer les monstres (2013). Le tambour de la dernière chance, une pièce franchement sombre de 7 minutes, traduisant l’amertume d’une femme vieillissante est suivie de Force Océane, un hymne féministe, un tantinet démagogique, où la musique peine à se frayer un chemin à travers pareil flot de paroles.
En fait, sous des dehors placides, l’artiste a un côté condescendant. Le chat sort du sac, entre autres, à travers le texte de Cargaison : «J’voulais te dire que j’te comprends J’voulais te dire que j’te trouve con». Drôle de façon d’exprimer sa compassion!
Il n’en reste pas moins qu’il en a fait du chemin, Émile Proulx-Cloutier, depuis l’époque où je l’ai vu au Petit Outremont, il y a plus de dix ans, avant même la parution de son premier album. Sans concession, il a gagné des fidèles jusqu’à remplir la Maison symphonique. Ses chansons demeurent verbeuses et ses mélodies peu accrocheuses. Pourtant, un frisson a traversé la salle, durant La saison des tremblements, dont le solo de trompette a été joué depuis le niveau corbeille. Poignant! Théâtral!
Bref, Émile Proulx-Cloutier offre le spectacle le plus ambitieux de sa carrière. On pourra d’ailleurs le revoir à la Maison symphonique, le 7 décembre, avec l’Orchestre de l’Agora et maestro Julien Proulx. Ce dernier dirigera l’Orchestre symphonique de Québec, lors de la présentation d’Émile Proulx-Cloutier symphonique, au Grand Théâtre, le 7 février 2025.
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