«La femme qui fuit» : tableaux vivants au TNM

Présentée en ouverture de saison du Théâtre du Nouveau Monde, l’adaptation du roman La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette est visuellement imposante! 18 comédiennes et comédiens y évoluent dans un décor constitué de marches abruptes d’une blancheur immaculée, où se joue une histoire parfois déroutante. La narratrice, Catherine De Léan se tient à l’extérieur du cadre de ce tableau vivant, où l’on suit les tribulations de Suzanne Meloche qui a très tôt abandonné son mari, le peintre Marcel Barbeau et leurs deux jeunes enfants.

Cette pièce raconte donc le questionnement d’Anaïs Barbeau-Lavalette qui n’a pas connu la mère de sa mère et qui cherche à comprendre la fuite de cette aïeule qui fut aussi membre du mouvement automatiste québécois.

Mémoire sélective

Catherine de Léan, narratrice du spectacle La femme qui fuit

Suzanne Meloche qui a vécu de 1926 à 2009, en Ontario et au Québec, en passant par l’Europe et les États-Unis, est incarnée, à différents moments de sa vie, par six comédiennes. Toutes très investies dans leur rôle, Justine Grégoire (en alternance avec Agathe Ledoux), Anna Sanchez, Zoé Tremblay-Bianco, Éveline Gélinas, Marie-France Lambert et Louise Laprade interprètent diverses facettes de la protagoniste, qui demeure difficile à cerner pour le spectateur.

Le récit de Barbeau-Lavalette, adapté au théâtre par Sarah Berthiaume, met l’accent, notamment, sur la «Grande Noirceur», une métaphore utilisée pour décrire péjorativement le régime du gouvernement Duplessis. Dans cette pièce qui montre du doigt les méchants, Daniel Parent incarne caricaturalement un curé, représentant de l’Église qui incite les femmes à avoir plusieurs enfants.

Dans la nomenclature des irritants de l’époque de sa jeunesse, l’héroïne mentionne avec détachement la crise de la conscription de 1944, comme si elle était indifférente de voir les hommes de sa génération forcés d’aller à la guerre.

Plus tard, en voyage aux États-Unis, Suzanne Meloche prend part au mouvement des droits civiques, un chapitre capital de l’Histoire, qui est résumé sans nuances, à travers une vague condamnation des blancs. Cette longue scène m’a d’ailleurs semblé briser le rythme de ce spectacle de 90 minutes, plutôt rythmé dans l’ensemble, grâce à la mise en scène ingénieuse d’Alexia Bürger.

Ombre et lumière

Souvent, on retient son souffle devant les comédiens en équilibre sur les marches de l’escalier vertigineux, conçu par Simon Guilbault. C’est là un point fort qui alimente judicieusement la dynamique de cette pièce. Quant aux saisissants éclairages de Martin Labrecque, ils s’apparentent parfois à des taches de couleurs rappelant des tableaux automatistes. Éblouissant!

Cela dit, ce mouvement artistique est représenté plutôt superficiellement dans la pièce, même si Suzanne Meloche a oeuvré auprès des signataires du Refus global, manifeste emblématique de ce groupe d’artistes québécois avant-gardistes, publié en 1948. À ce chapitre, l’interprétation clownesque de Claude Gauvreau par Olivia Palacci est désolante!

Plus encore, le discours dense de certains personnages du spectacle est parfois traduit en mouvements par les danseurs David Albert-Toth, Jacques Poulin-Denis et Anne Thériault. Trop de gestes ? Trop de mots ?

Dans une brève description du roman, La Femme qui fuit nous est présentée comme étant «à la fois révoltée et révoltante». Ce dernier qualificatif semble toutefois évacué de ce spectacle où l’on suit Suzanne Meloche, jusqu’à un âge avancé, dans ses abus d’alcool et qu’elle se vante de forniquer avec de jeunes hommes. Alors qu’un tel comportement serait d’emblée dépeint comme toxique chez un personnage masculin, on sent ici une forme de compassion face à la protagoniste.

Malgré ses qualités esthétiques remarquables, cette pièce ne m’a pas ému. Par surcroît, on ne parvient pas à mettre en lumière l’inestimable legs du mouvement automatiste qui semble pourtant avoir été marquant dans la vie de cette femme qui a fui les siens et qui est ici présentée comme une héroïne.

La Femme qui fuit

Texte : Anaïs Barbeau-Lavalette. Adaptation : Sarah Berthiaume. Mise en scène : Alexia Bürger.

Au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu’au 11 octobre.

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