
De toute évidence, le public de la première médiatique de Moi et l’autre a eu du plaisir à replonger dans la douce nostalgie de l’époque où Dodo et Denise vivaient leurs folles aventures de jeunesse, il y a plus d’un demi-siècle. Il faut dire que Juliette Gosselin et Alexa-Jeanne Dubé ont «le physique de l’emploi» pour faire revivre le célèbre duo formé de Dominique Michel et Denise Filiatrault qui a marqué l’histoire de la télévision québécoise, de 1966 à 1971. Après tout ce temps, l’autrice Kim Lévesque-Lizotte choisit de situer sa pièce à l’époque d’Expo 67, alors que Montréal s’ouvrait sur le monde et vivait une période de joyeuse effervescence!
Nouveaux personnages

Artistes de cabaret, Dodo et Denise voient leur amitié mise en péril, lors de l’arrivée d’un chanteur de charme français, Hébert Léotard (David Corriveau), qui organise un concours dont le prix est un voyage à Paris… avec lui! Les deux amies se disputent, bien sûr, l’attention du bellâtre, en multipliant les manigances dans le but de visiter la Ville Lumière au bras de ce chanteur entreprenant et peut-être même de pouvoir ainsi lancer leur carrière en France.
Pendant ce temps, la propriétaire de l’immeuble, Mrs Clark (Sandrine Bisson) se scandalise du style de vie de ses locataires Dodo et Denise et elle est déterminée à prendre les grands moyens pour court-circuiter leurs sorties nocturnes.
Qu’à cela ne tienne, les deux jeunes femmes n’en font qu’à leur tête et continuent de côtoyer, entre autres, la barmaid Johanne (Joëlle Paré-Beaulieu) qui n’a d’yeux que pour Dominique.
À leurs côtés, on retrouve deux personnages emblématiques de la série télévisée, soit le concierge Gustave (Marc St-Martin) et Monsieur Lavigueur (Henri Chassé).
De bons comédiens, mais…
Alexa-Jeanne Dubé brûle les planches en Denise, tornade blonde, prête à bien des entourloupettes pour se frayer un chemin! On croit tout de suite à son personnage. Pour sa part, Juliette Gosselin verse un peu dans le cabotinage, en tentant de faire revivre l’intrépide Dodo. En plus de danser la claquette de façon plus ou moins convaincante, elle va jusqu’à se travestir pour faire avancer sa carrière. Pas toujours drôle.
Quant à David Corriveau, avec son rôle archi-caricatural de crooner français, il a su faire rire le public en reprenant, inlassablement (et peut-être un peu trop souvent), son unique succès, Tes grands yeux verts.
Parmi les autres performances de la soirée, soulignons celle du fougueux Marc St-Martin qui a assurément l’étoffe pour jouer le personnage de Gustave, jadis incarné par le comique Réal Béland (père).
Par contre, on est déçu de voir le valeureux Henri Chassé si peu persuasif en Monsieur Lavigueur, personnage que Roger Joubert a pourtant su rendre attachant.
Féminisme et politique
Le succès de Moi et l’autre, à la télé, reposait en bonne partie sur les intrigues bien ficelées de Gilles Richer qui mettaient en valeur les talents de mesdames Filiatrault et Michel. Elles se répondaient du tac au tac, à travers des répliques savoureuses et cinglantes.
On ne retrouve pas ce savoir-faire et cette magie dans le texte de Kim Lévesque-Lizotte, dont l’humour est souvent au ras des pâquerettes. Par exemple, l’un de ses personnages a recours à une traduction anglaise à tout le moins douteuse (!) du nom de Michel Tremblay, pour parler de cet auteur québécois à Mrs Clark qui ne maîtrise pas la langue de Molière et ne connaît rien du Québec. Sans divulguer cette «trouvaille», disons que ça n’a pas fait rire tout le monde…
De plus, en faisant l’éloge de l’avant-gardisme de deux femmes québécoises émancipées, on éclabousse le personnage du visiteur français condescendant et truffé de stéréotypes. On se permet même une remarque disgracieuse sur les fessiers de nos cousins français qui souffriraient de leur goût prononcé pour la baguette! Désolant que l’autrice se permette de descendre si bas, alors qu’on sait à quel point les Québécoises ne tolèrent généralement aucune remarque sur leur apparence!

Pour sa part, le personnage de Johanne, une barmaid souverainiste, devient le prétexte à quelques blagues plutôt prévisibles sur la question de l’affirmation québécoise qui était en plein envol, à la fin des années 1960. C’est alors que Marc St-Martin s’aventure à nous lire un extrait de Speak White, manifeste iconique de Michèle Lalonde. Le comédien dira aussi quelques mots du monologue d’Yvon Deschamps, Les unions, qu’ossa donne? Tout cela tombe à plat!
Avec son texte plutôt décousu, l’autrice se paie aussi la tête du défunt Michel Louvain, en soulignant qu’il fréquente Dodo depuis trois mois et qu’il ne l’a «pas encore touchée». Trouvez-vous cela drôle?
En résumé, le texte est le maillon faible de ce spectacle qui réunit de bons acteurs, dans une mise en scène dynamique de Charles Dauphinais. Les costumes de Jennifer Tremblay sont remarquablement réussis. Robes à motifs géométriques, bottes hautes, minijupes, etc., la mode de l’époque d’Expo 67 brille sur la scène du TVT!
Chapeau, également, à Loïc Lacroix Hoy qui avec ses portes d’ascenseur et ses projections de vues en hauteur du centre-ville de Montréal, a su nous transporter dans le building où Dodo et Denise ont inspiré une touche de modernisme au Québec des années 60.
Voir les photos du tapis rouge de la première médiatique de Moi… et l’autre

Moi… et l’autre
Texte : Kim Lévesque-Lizotte
Mise en scène : Charles Dauphinais
Au Théâtre du Vieux-Terrebonne, jusqu’au 3 août / Horaire des représentations
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