Le Tout-Montréal était à la Place des Arts, mardi soir, pour découvrir le théâtre musical humoristique tant attendu, Yvon Deschamps raconte la shop, inspiré de l’oeuvre d’Yvon Deschamps. Le metteur en scène Jean-François Blais (En direct de l’univers, La Voix) nous entraîne dans le quotidien de quatre travailleurs d’usine exploités par un patron qu’ils idolâtrent. Sylvain Marcel, David Savard, Elizabeth Duperré et Stéphane Archambault incarnent autant de facettes des personnages de Deschamps et le monologuiste lui-même apparaît sur vidéo, comme commentateur, à une dizaine de reprises.
Les hauts et les bas des travailleurs de la shop trouvent écho dans des chansons québécoises marquantes qu’ils interprètent, accompagnés de musiciens, de danseurs et de circassiens. Bref, un pari audacieux mais réussi, malgré quelques bémols.
Les unions qu’ossa donne?
Dans un décor d’usine qui rappelle l’esthétique des films en noir et blanc de Charlie Chaplin, Yvon Deschamps raconte la shop nous fait remonter à 1942. Pourtant, les préoccupations de ces travailleurs ressemblent aux nôtres et tournent autour de l’argent, l’amour et la mort.
Stéphane Archambault (Mes Aïeux) incarne le travailleur «mouton» avec une grande justesse. Son idéal dans la vie c’est «une job steady pis un bon boss!». Il est le premier à balayer du revers de la main les ambitions du «syndicaliste», Sylvain Marcel.
Leurs échanges, basés sur le monologue Les unions qu’ossa donne ?, sont entrecoupés de chansons, dont : Mon pays de Robert Charlebois, Travailler de Michel Pagliaro et Comme un million de gens de Claude Dubois. Les nouveaux arrangements de ces classiques, joués par trois musiciens sous la direction de Guillaume Marchand, sont enlevants ! Le tumulte intérieur des protagonistes est exprimé à travers des numéros de danse et de cirque menés de main de maître!
Les fesses
Ces gagne-petit aspirent aussi à l’amour, ce qui nous amène au monologue Les filles, sur la difficulté des relations hommes-femmes. Ce sujet devient un prétexte pour chanter l’irrévérencieuse Les Fesses, où Elizabeth Duperré se distingue avec ses prouesses vocales, qui accentuent le côté comique de ces paroles impudiques!
Puis, Yvon Deschamps lui-même apparaît sur vidéo, dans une sorte de hublot, pour ajouter son grain de sel, en ce qui a trait à la complexité de la séduction, de nos jours, avec, notamment, les questions de fluidité de genre. Toujours observateur de notre société, l’homme de 89 ans a aussi son mot à dire sur l’application de rencontre Tinder…
La langue française
Deux des temps forts du spectacle nous arrivent coup sur coup, à la fin de la première partie. Sylvain Marcel est hilarant dans le monologue où il apprend à son fils comment écrire les chiffres en lettres, en tentant vainement de le convaincre que la langue français est parfaitement logique ! C’est l’un des numéros les plus drôles de la soirée !
La paternité
On passe du rire aux larmes, comme Deschamps sait si bien le faire, en enchaînant avec la scène où le personnage de David Savard, qui ne voulait pas avoir d’enfant, est pourtant bouleversé, lorsque son bébé l’appelle «papa» pour la première fois. Savard y joue la gradation des émotions avec brio !
Ces comédiens font vivre au public des montagnes russes émotionnelles ! Par contre, leurs numéros sont un peu étirés inutilement. Après de pareils sommets, est-il efficace d’ajouter des scènes en guise de conclusion des tableaux?
Rétrofuturiste
La deuxième partie du spectacle s’ouvre avec une reprise endiablée de La Maudite machine, grand classique du groupe Octobre. On constate, alors, qu’il y a un joueur en moins sur scène. Où est passé l’omiprésent contremaître, rôle muet habilement joué par David-Alexandre Després ?
À travers des extraits d’un autre célèbre texte de Deschamps, on apprend que «le boss est mort». Et voilà que les héritières, les deux filles du patron, décident de transformer la shop, en se tournant vers l’intelligence artificielle.
Remplacés par des robots, les personnages qui ont perdu leur emploi, gardent tout de même espoir, en interprétant l’immortelle Aimons-nous, écrite par Deschamps lui-même, sur une musique de Jacques Perron.
Au dernier tableau de ce voyage rétrofuturiste, on comprend que le monde est en pleine transformation mais, les aspirations des protagonistes demeurent sensiblement les mêmes. Chacun exprime, alors, ses rêves, en empruntant des phrases clés du monologue Le bonheur. Observant la scène, Yvon Deschamps apparaît une dernière fois pour lancer un ultime message : «Soyez vigilants! Bonne chance!» Frissons dans la salle!
En résumé, Yvon raconte la shop est un hommage d’une grande richesse au plus célèbre monologuiste québécois ! Même si certaines scènes traînent en longueur, tous les numéros sont porteurs de réflexions actuelles, de nature à intéresser des spectateurs de tous les âges.
Certains diront sans doute que les textes puissants de ce grand artiste n’avaient pas besoin d’être soutenus par des numéros de danse et de cirque. Pour ma part, je trouve que cette dimension visuelle contribue à l’originalité du spectacle et colle remarquablement aux propos d’Yvon.
Monsieur Deschamps a été ovationné, non seulement à la fin du spectacle, mais aussi à son arrivée pourtant discrète dans la salle. Pas de doute, ce phare de notre culture brille de mille feux dans Yvon raconte la shop, dont on annonce déjà des supplémentaires.
Assez de mots ! Allez constater par vous-même ! Après tout, comme dit Deschamps : «On veut pas le sawoère, on veut le woèèère!»
Yvon raconte la shop
(Théâtre musical inspiré des monologues d’Yvon Deschamps)
Conception et mise en scène : Jean-Francois Blais
Au Théâtre Maisonneuve les 25 et 26 septembre et, en tournée, à travers le Québec. Voir les dates.
*Photos fournies par GSI Musique, sauf si indication contraire
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